Au final, le résultat est le même : davantage de terres palestiniennes volées et transférées aux Juifs parce qu’ils sont Juifs (nés en Israël ou en Diaspora), et à leur profit. Mais les cerveaux juifs inventent les astuces du métier, et les moyens et les méthodes que la bureaucratie militaire a créés et continue toujours à créer pour atteindre ce résultat sont nombreux et variés, jusqu’à ce que la confusion et la peur prennent la relève de la multitude impressionnante de détails.
Dror Etkes, un chercheur sur la politique de colonisation israélienne, veut, comme d’habitude, mettre les choses en ordre. Dans une nouvelle étude qu’il publiera cette semaine, il se concentre sur l’histoire des ordres de confiscation de terres palestiniennes, émis par des générations de commandants de l’armée en Cisjordanie (en ne comprenant pas la partie qui a été rattachée à Jérusalem). Plus de 1.150 ordres de confiscation ont été émis depuis 1969. Après avoir soustrait ceux qui ont été révoqués ou qui se chevauchent, il s’avère que cette astuce particulière a permis à Israël de prendre le contrôle de plus de 100.000 dunams (10.000 ha) de terres palestiniennes. Davantage de millions de dunams [1] de terres palestiniennes ont été volé d’autres façons, sur lesquelles Etkes a aussi fait des recherches.
Le but déclaré de telles confiscations sont la sécurité et les besoins militaires. Sur le site internet de l’Avocat Général Militaire, l’organisme qui conseille l’armée sur les questions juridiques, ce but est souligné. Etkes cite longuement cette source dans son étude : selon les lois de l’occupation militaire détaillées dans le droit coutumier international, il est interdit à une puissance occupante de confisquer les propriétés privées d’une population locale dans la zone sous l’occupation de son armée. (Mais) le commandant de la zone a le pouvoir de prendre possession de terres privées s’il y a un besoin militaire. … L’exercice de ce pouvoir n’infirme pas les droits de propriété des propriétaires fonciers, bien qu’ils soient temporairement empêchés de détenir et d’exploiter les terres. … Le mot temporaire est utilisé, parce que l’occupation est censée être temporaire, et parce que les besoins militaires peuvent changer.
Surprise, surprise. Environ 40 % de la surface officiellement confisquée pour des besoins militaires et sécuritaires a été au cours des années alloué aux colonies (un quart de la surface totale est effectivement utilisé à des fins militaires et un autre quart est occupé par la barrière de séparation). Les gouvernements de l’Alignement [2], les prédécesseurs du Parti Travailliste, ont instauré cette tradition. Ils ont alloué 6.280 dunams aux colonies – 28 % des quelque 22.000 dunams qui avaient été confisqués ces années-là pour une utilisation militaire. Comme prévu, l’accession au pouvoir du Likud s’st accompagnée d’une forte hausse de l’attribution aux colonies de terres qui avaient été à l’origine confisquées pour une utilisation militaire. De la victoire du Likud en mai 1977 à la fin de 1979, plus de 31.000 dunams ont été confisqués. Sur ce total, 23.000 ont été alloués aux colonies – c’est-à-dire, 73 %.
Si nous avons pensé que cette méthode avait été infirmée par l’arrêt de la Haute Cour de Justice dans l’affaire de la colonie de Elon Moreh – qui a été rendu en octobre 1979 et qui a mis des restrictions au pouvoir d’un commandant militaire israélien en Cisjordanie de confisquer des terres pour la construction d’une colonie – il s’avère que nous nous sommes trompés. Parce que pendant trois ans, les commandants ont continué sous le gouvernement du Likud à émettre, pour des raisons sécuritaires, des ordres de confiscation qui ont bénéficié aux colonies : sur quelque 11.000 dunams confisqués, 7.040 dunams ont été donnés à 12 nouvelles colonies. (Les dates sur certains des ordres ne sont pas claires ; par conséquent ils ne sont pas compris dans la répartition ci-dessus que Etkes a présentée à la demande de Haaretz. Mais le but de ces ordres, aussi, est évident : la colonisation. Et il s’applique à des surfaces qui s’élèvent à environ 2.000 dunams).
A la suite de l’arrêt de la Haute Cour sur Elon Moreh, Israël a trouvé une méthode de vol plus sûre : déclarer que les terres palestiniennes sont des terres de l’état (c’est-à-dire, pour les Juifs), en une interprétation très complaisante du droit ottoman en la matière. La matière première de la recherche de Etkes ce sont des cartes numériques et des couches de données qui lui ont été fournies par l’Administration Civile [3] (en serrant les dents) grâce à la loi sur la Liberté de l’Information. Selon ces renseignements, Etkes estime que depuis les années 1980, Israël a déclaré comme terres de l’état quelque 750.000 dunams, sur les 5,7 millions environ de dunams en Cisjordanie. (Rappel : cet éditorial ne reconnaît pas la légalité de la définition israélienne de terres palestiniennes comme termes de l’état, et encore moins la légalité de leur transfert aux Juifs).
Comme d’habitude, Etkes étudie en profondeur la prise de contrôle des terres palestiniennes. Sur quelque 40.000 dunams alloués à 45 colonies en seulement 73 ordres de confiscation, seulement environ 43 % sont utilisés pour des zones en construction et pour l’agriculture. Le reste – 57 % – reste vide. Imaginez un gouvernement de paix israélien qui en 1994 déclare que, en tant qu’étape de renforcement de la confiance, toutes les parcelles confisquées pour la colonisation sur lesquelles il n’y a pas de construction seront rendues à leurs propriétaires légaux (collectivités locales, villes et personnes palestiniennes). Soit dit en passant, 45 % de toutes les terres palestiniennes confisquées par ces ordres (y compris à des fins purement militaires) ne sont pas utilisées. Il nous appartient de conclure que la principale idée est que, en ce qui concerne les Palestiniens, ils ne sont pas capables de cultiver leurs terres, de construire sur celles-ci, d’y faire paître leurs animaux, d’y randonner ou d’y piqueniquer.
Jusqu’en 1989, de tels ordres n’avaient pas de date d’expiration, seulement une date d’entrée en application. Cette indétermination a été contestée en 1989 quand un habitant de Bethléem, Naim Juha, a adressé une pétition à la Haute Cour contre la confiscation des terres de sa famille. Le tribunal a approuvé la confiscation, mais a ordonné qu’elle soit limitée dans le temps. Depuis lors les nouveaux ordres sont publiés avec une date d’expiration, qui est prolongée si nécessaire. Les ordres d’avant la pétition de Juha demeurent illimités.
L’étude sera publiée en hébreu, en arabe et en anglais sur le site internet de l’association de la société citoyenne que Etkes a créée en 2012, Kerem Navot [4] . Le titre : « Emparez-vous de la position morale la plus basse ».
Traduit de l’anglais par Yves Jardin, membre du GT prisonniers de l’AFPS